REDÉFINIR LE LUXE

9 Questions pour la Cheffe Florencia Montes

Par Sarah-Linda Forrer

Dans notre série d’interviews "9 Questions", je m’assois avec des chefs, des passionnés de gastronomie et des professionnels de l’hospitalité que j’admire pour parler de cuisine et du monde culinaire. J’essaie d’entrevoir l’esprit de ceux qui façonnent notre manière de manger, à travers leurs souvenirs, leurs opinions et les leçons qu’ils tirent de la gastronomie. Qu’est-ce qui a influencé leur approche de la cuisine, et quelle vision ont-ils de son avenir ?

Dans cette édition, je discute avec Florencia Montes, cheffe et co-propriétaire du restaurant Onice* à Nice, qu’elle a fondé avec son partenaire, le chef italien Lorenzo Ragni. Originaire d’Argentine, elle a affûté son talent dans les cuisines de Septime*, Fäviken** et Eleven Madison Park***. Lorsque j’ai pris contact avec elle pour la première fois, elle était cheffe exécutive du célèbre Mirazur***. Je l’ai finalement rencontrée, ainsi que Lorenzo, lors d’un dîner chez Onice, peu après son ouverture. Inutile de dire que l’expérience était incroyable ! Et ils forment un duo adorable.

Florencia est une véritable force de la nature : en 2024, elle a décroché une étoile Michelin pour Onice, tout en donnant naissance la même année. J’admire son engagement envers l’excellence et la durabilité, ainsi que sa capacité à créer et innover sans relâche avec son menu Carte Blanche.

"J’aime manger, j’aime la bonne cuisine, c’est un des plus grands plaisirs de la vie."

1. Quelle est votre madeleine de Proust ?

Le dulce de leche, la confiture de lait.

C'est immédiatement le goût de mon enfance. On en mange avec tout : au petit-déjeuner, aux anniversaires, lors de rencontres... C'est le goût de ces moments-là.
J'en mange encore, mais plus rarement, car il est difficile d'en trouver ici. Mais dès que quelqu'un voyage en Argentine et me ramène des alfajores ((diverses formes de pâtisseries, fabriquées en Amérique latine et en Espagne) ou d'autres douceurs, je suis la plus heureuse du monde.

2. EST-CE QU'IL Y A UN CODE OU UNE ÉTIQUETTE DE TABLE QUE VOUS AIMEZ PLUTÔT IGNORER ?

Ici, au restaurant, nous ne mettons pas de nappe. Nous essayons de suivre un certain protocole, mais toujours avec l'idée de ne pas déranger les clients.

Si le service doit se faire à droite mais que le client est tourné à gauche en pleine conversation, alors nous adaptons. L’essentiel est qu’il passe un bon moment.

Quant aux choix de la vaisselle et de la décoration, nous sélectionnons uniquement ce qui nous plaît. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans des traditions rigides, mais de créer une atmosphère agréable aussi bien pour nos clients que pour nous-mêmes.

On essaie d'enlever les détails qui sont un peu superficiels et aller au centre, aller à l'essentiel. Si le client passe un bon moment, alors nous aussi nous sommes contents.


3. SI VOUS POUVIEZ INVITER N'IMPORTE QUI À DÎNER, QUI CHOISIRIEZ-VOUS ? ET QU'EST-CE QUE VOUS LEUR FERIEZ À MANGER ?

Ma famille et mes amis, tout simplement.
Ce qui compte, c’est de partager un bon moment avec les bonnes personnes. Je leur ferais le menu que nous proposons actuellement chez Onice. Ma grand-mère est venue l’année dernière et nous a même aidés à éplucher les fèves. Après tout, il faut mériter son dîner ! (clin d'œil)

4. Y A-T-IL UNE TENDANCE CULINAIRE QUE VOUS AIMERIEZ VOIR DISPARAÎTRE ? ET UNE AUTRE QUE VOUS SOUHAITERIEZ VOIR ÉMERGER ?

Pour nous, l’essentiel en cuisine, c’est le goût. Avant de penser au dressage ou à l’aspect "instagrammable", nous cherchons toujours la profondeur et la longueur en bouche.

Bien sûr, la présentation a son importance, surtout en gastronomie, car on mange aussi avec les yeux. Mais il ne faut pas que l’image prenne le dessus sur l’essentiel : le plaisir gustatif. J’aimerais que cette approche soit plus répandue.

"La cuisine est une part essentielle de la culture en France, pas seulement pour les chefs, mais pour tout le monde."

5. Y A-T-IL UNE EXPÉRIENCE QUI A CHANGÉ VOTRE APPROCHE À LA CUISINE OU À L'ALIMENTATION EN GÉNÉRAL ?

Mon arrivée en France, il y a dix ans, a été un tournant, aussi bien dans ma carrière que dans ma vie personnelle.

Au départ, je pensais faire un simple apprentissage avant de retourner travailler dans un restaurant étoilé à San Francisco. Finalement, je suis restée.

J’ai découvert ici une richesse incroyable de produits, un univers gastronomique rigoureux et exigeant que je ne connaissais pas. La cuisine est une part essentielle de la culture en France, pas seulement pour les chefs, mais pour tout le monde. Cette immersion a profondément marqué ma manière de travailler et de voir la cuisine.

6. SELON VOUS, Y A-T-IL UN PETIT CHANGEMENT QUI POURRAIT FAIRE UNE GRANDE DIFFÉRENCE S’IL ÉTAIT ADOPTÉ PAR TOUS ?

La lutte contre le gaspillage alimentaire.

Dans notre restaurant, nous avons choisi de proposer un menu "carte blanche" pour optimiser l'utilisation des produits. Nous travaillons les animaux en entier, nous exploitons chaque partie des légumes, des épluchures aux tiges. Rien ne se perd. Même les graisses sont récupérées pour être réutilisées.

Si tout le monde faisait un peu plus attention à cela, l’impact serait énorme.

7. Y A-T-IL UN INGRÉDIENT QU’IL VAUDRAIT MIEUX NE PLUS UTILISER ?

Nous sommes très inspirés par la cuisine japonaise et utilisons certains produits importés, comme le kombu, le miso ou le shoyu. Nous sommes conscients de l’empreinte carbone liée à ces importations.

C’est pourquoi nous essayons de produire nous-mêmes certaines choses, comme le miso et le shoyu. Nous nous autorisons encore quelques "petits luxes", mais dans l’ensemble, nous privilégions les produits locaux.

8. VOUS CONSIDÉREZ-VOUS COMME UNE ÉPICURIENNE ?

J’aime manger, j’aime la bonne cuisine, c’est un des plus grands plaisirs de la vie.

J’aime aussi voyager, passer du temps avec ma famille et mes amis.

Vivre entre mer et montagne ici à Nice, au contact de la nature, est un équilibre précieux. Ce n’est pas toujours évident quand on a une entreprise, mais c’est essentiel.

9. QUEL EST LE VÉRITABLE LUXE SELON VOUS ?

Dormir ! (Florencia et Lorenzo ont eu un bébé l’année dernière).

Et, au-delà de ça, le vrai luxe, c’est le temps de qualité passé avec mes proches.

Pour en voir plus :
Retour au journal